« Nous ne faisons pas de nouvelles rencontres par accident. Elles sont destinées à croiser notre chemin pour une raison. » [Alphonse Feldmann, Saniya Carson and Azalée Chêne]

Elle était en retard. Très en retard. Et mon dieu, qu'est-ce qu'elle détestait ça ! Pour elle qui vénérait la ponctualité et qui haïssait qu'on la fasse attendre, c'était le comble du comble. Surtout, que son excuse était vraiment nulle. Elle secoua la tête pour chasser ces pensées et traversa la cour en courant. Heureusement qu'elle était allergique aux chaussures à talons, cela lui évitait de ressembler à une autruche sur des patins à roulettes et, par conséquent, de se rendre ridicule en se tordant une cheville sur un cailloux. Elle continua sa course jusqu'à atteindre les jardins de l'établissement, là où elle avait rendez-vous avec Alphonse. Elle s'arrêta à quelques mètres de lui, se recoiffa en vitesse et réajusta sa chemise. Respirer. Expirer. Reprendre son souffle et y aller !

- Trouver une autre excuse... marmonna-t-elle pour elle. Trouver une autre excuse...

Elle arriva à la hauteur du jeune homme et lui lança un grand sourire. Elle l'avait fait poireauter pendant presque vingt minutes. Le pauvre.

- Salut, Al ! Je suis vraiment désolé pour le retard. Je... Enfin, j'étais... Peu importe ! C'est trop la honte.

Oh oui. Pour être une honte, ça l'était. Pourvu qu'il ne lui demande pas. Elle croisa discrètement les doigts derrière son dos et le regarda droit dans les yeux.

- Tu me pardonnes de t'avoir fait attendre ?

Depuis qu'il s'était levé ce matin, Al trépignait d'impatience. Il avait donné rendez-vous à Azalée à 16h dans les jardins, pour une "surprise" de son propre crû. Bien évidemment, il lui avait été impossible de tenir en place (enfin, plus que d'habitude), ce qui lui avait valu plusieurs remarques de ses professeurs et une demi-douzaine de menaces de retenues. Loin de s'en formaliser, Al regardait sa montre toutes les cinq minutes (avec des petits moments de suspens personnel quand il ne la regardait pas pendant au moins dix minutes). Mais l'univers semblait s'être ligué contre lui alors que les heures de cours traînaient en longueur de façon affligeante.

15h30 sonnèrent enfin et Al pu regagner son dortoir afin de se préparer. Après un (long) moment d'intense réflexion, il enleva son bonnet et posa ses lunettes sur sa table de chevet. Plus qu'à espérer qu'il n'aurait rien à lire cet après-midi-là... Devant, le miroir de la salle de bain, le jeune homme tenta tant bien que mal d'arranger ses cheveux, malmenés par les frottements du bonnet. Une fois satisfait du résultat, il n'eût plus qu'à réarranger sa chemise à carreaux ouverte sur un t-shirt noir pour être fin prêt.
15h50. Al se détendit légèrement. Il lui faudrait bien moins de dix minutes pour traverser l'orphelinat et être à l'heure à son rendez-vous. Il vérifia une dernière fois que ses indispensables (téléphone, écouteurs, monnaie, chewing-gums...) étaient bien dans ses poches, puis sortit du dortoir.

Comme il l'avait prévu, la distance dortoir-jardin fut avalée en quelques minutes. 15h58. Parfait. Al s'adossa à un platane et attendit. Attendit. Attendit... Bon ok, à un moment, il pensa même qu'Azalée lui avait posé un lapin. Vingt minutes plus tard, alors qu'Alphonse commençait à s'intéresser à la matière dont étaient faite ses semelles (on n'imagine pas à quel point c'est fascinant), Azalée arriva enfin.

- Salut, Al ! Je suis vraiment désolée pour le retard. Je... Enfin, j'étais... Peu importe ! C'est trop la honte. Tu me pardonnes de t'avoir fait attendre ?

Al se détourna de ses chaussures et se tourna vers elle, intérieurement très soulagé.

- Hmmm, fit-il en faisant mine de réfléchir. Ça fait bien trente-et-une minutes et vingt-sept secondes que j'attends, c'est pas rien. Mais ok. Je te pardonne, mais à une condition : je t'invite à manger une glace en ville. Aucune excuse possible pour y échapper.

Al ponctua sa dernière phrase de son petit sourire en coin, les yeux pétillants de malice.

La jeune fille se dandina d'un pied à l'autre, comme un enfant prit en faute. Elle se mit à rougir de gêne -et de honte- et prise d'un énorme stress qui n'avait pas lieu d'être, elle remit cinq fois sa mèche en place. Il devait vraiment être désespéré pour avoir même prit le temps de compter les secondes. Elle allait s'élancer dans une cascade d'excuses, prête à se mettre à genoux s'il le fallait, mais contre toute attente, il lui proposa de l'amener manger une glace en ville pour se faire pardonner. Si ce n'était que ça, elle n'allait pas s'en plaindre. Elle poussa un long et joyeux soupir et se frotta les joues pour faire disparaître cette mauvaise couleur de son visage. Geste qui pouvait paraître complètement stupide ou mignon. Le côté cute, c'est uniquement si on arrive à se l'imaginer en train de miauler. Autant dire qu'il faut un paquet d'imagination ou avoir fumé la moquette avant de venir. Dans l'éventualité des choses, ça pouvait aussi marcher.

- Mince alors. dit-elle en faisant la moue. C'est bête qu'il n'y est aucun échappatoire possible, parce que je déteste la glace... Surtout la glace aux fruits de la passion. Quoi que celle à la noisette est encore plus immonde !

Elle pencha légèrement la tête sur le côté, prenant un air pensif.

- Je vais devoir me forcer. Peut-être que si je me pince le nez, le goût sera moins mauvais, qu'en dis-tu ?

Elle lui sourit de nouveau tout en prenant sa main dans la sienne. Puis elle se mit à la serrer. Gros progrès. Très gros progrès, même. Quelques mois auparavant, même pas elle aurait osé effleurer la main de n'importe quels garçons. Elle se mit sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue.

- T'es un amour...

Il avait fallu trois ans de recherches à Saniya pour se rendre compte que la personne qu'elle recherchait se trouvait à dix minutes en bus de son université et à cinq minutes à pied de chez elle. Tant d'années d'enquête pour seulement quelques misérables kilomètres de séparation. Malgré sa joie, intérieurement, elle se maudissait. Pourquoi n'avait-elle pas pensé plus tôt au célèbre "Orphelinat Evergreen" ? Peut-être car elle passait tous les jours devant, que cet établissement faisait partie intégrante du décor tout comme les champignons de ville -les crottes de chien pour ceux qui n'auraient pas comprit la subtilité de la métaphore- qui peuplaient les trottoirs de son quartier de résidence et, que pour elle, il était bien au chaud dans une nouvelle famille. Seulement, ce n'était pas le cas et elle avait perdue du temps inutilement, mais surtout bêtement.

N'ayant pas de cours aujourd'hui ou plutôt, n'ayant pas de cours susceptible de l'intéresser, elle s'était prit un jour de repos -Ok, elle séchait- pour retrouver ce fameux garçon de son enfance. Elle n'avait pas particulièrement de souvenirs de lui, à part d'un gros bébé qui ne cessait de pleurer et de lui casser les oreilles toutes les dix minutes, mais qui lui avait terriblement manqué lorsque pour une raison qui lui était inconnue à l'époque, il avait arrêté de voyager avec eux. Elle alluma une cigarette qu'elle se mit à fumer sur le chemin et qu'elle dû éteindre à contre cœur en arrivant devant les grilles de l'établissement. Pour cause, un énorme écriteau signalant l'interdiction de fumer.
Les pauvres, songea-t-elle, ils ne peuvent même pas connaître le plaisir de se bousiller la santé.
Elle pressa la poignée et pénétra à l'intérieur. Le bâtiment s'élevait tout au fond, donnant l'impression d'être dans la cour du roi et de replonger au dix-huitième siècles. Les robes et les calèches en moins.

Après une dizaine de minutes à demander aux premiers passants s'ils connaissaient un dénommé Alphonse Feldmann, quelqu'un lui désigna une silhouette, au fond d'un jardin de fleurs, qui était accompagnée d'une charmante (du moins, c'est ce qu'elle pensait) jeune fille. Elle rabattit la capuche de son sweet sur sa tête et s'approcha d'eux à pas de course. Comment allait-elle l'aborder. Il ne se souviendrait pas d'elle, c'était une évidence. Elle ne pouvait donc pas lui lancer un splendide "Hey ! Salut ! Tu vas bien ? Je connais tes parents et j'aimerais beaucoup te parler d'eux !". Elle fourra les mains dans les poches de son jean troué et se planta devant les deux tourtereaux.

- Tu es bien Alphonse ? demanda-t-elle en plantant ses yeux dans les siens. Alphonse Feldmann ?

Al peinait à conserver un visage relativement sérieux tandis qu'Azalée faisait mine de se plaindre. En fait, avec cet air innocent, le jeune homme songeait qu'il pourrait lui pardonner n'importe quoi. Cette fille le rendait vraiment faible... Mais étonnamment, ça ne le dérangeait pas le moins du monde !
De son côté, Azalée continua son manège et s'approcha pour lui prendre la main. En sachant l'effort que devait certainement fournir Azalée pour faire ce simple geste, rien ne pouvait rendre Al plus heureux. Ah ben si en fait. La jeune fille se hissa sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue. Alphonse ne put retenir sa joie plus longtemps et un énorme sourire naquit sur son visage.

- T'es un amour...

- Je sais. T'es pas mal non plus, répondit-il avec un clin d’œil. On y va ?

Al commença à se détourner pour entraîner Azalée vers le portail de l'orphelinat, lorsqu'il se retrouva nez-à-nez avec une inconnue, qui semblait un peu plus âgée que lui. Blonde. Avec une capuche.

- Tu es bien Alphonse ? demanda-t-elle. Alphonse Feldmann ?

Al plissa les yeux, méfiant. Cette personne n'était pas d'Evergreen, il l'aurait reconnu.

- Ça dépend, c'est pour quoi ?

Analysons la situation. Elle se tient en face de lui. Il se tient en face d'elle. (Logique, oui, je sais !) Il fait au moins une bonne tête de plus -alors qu'il est plus jeune- et sous-entend qu'il n'est peut-être pas le Alphonse qu'elle recherche. Soit il se méfie d'elle, chose normale puisqu'il s'agit d'une inconnue et que même Saniya se méfie d'elle-même, c'est pour dire, soit l'abrutis qui l'a désigné va passer un sale quart d'heure si elle recroise son chemin. Elle soupire et ôte sa capuche, dans l'unique espoir qu'il lui accorde un tout petit peu plus de confiance et laisse sa méfiance de côté. Elle l'observe un long moment. Il ressemble à sa mère, le même regard, les mêmes yeux, les mêmes lèvres... En fait, c'est son portrait craché, en masculin. Plus de doutes, c'est bien lui. Toutefois, le problème n'est pas réglé. Comment va-t-elle lui expliquer qui elle est ? Et surtout, comment éviter qu'il l'envoie balader dès qu'il saura pourquoi elle est là ? Elle jura intérieurement et reporta son regard sur lui.

- Je sais que tu ne me connais pas, j'en ai conscience, mais ce n'est pas mon cas. Je sais qui tu es, et je ne me limite pas à la simple connaissance de ton prénom.

La jeune fille sort de sa poche une photo au format A5 et écrit au dos de celle-ci, au crayon de papier, quelques lignes qui pourraient bien changer sa vie. À lui, pas à elle. Quoi que. Et la lui tend.

- Et vient seul.

Saniya avait parlé un peu plus froidement et dévisageait la blondinette d'un mauvais œil. Au moins, le message passerait le plus clairement possible. Elle se doutait qu'ils étaient bien plus que des simples amis et si par malheur, il avait eu l'idée de l'amener, elle n'aurait pas été à l'aise.

- Tu auras tout le plaisir de lui raconter après. Mais pour l'instant, ça concerne que toi.

Sur ces paroles, elle tourna les talons, remit sa capuche et sortit une cigarette (et son briquet) de sa poche et l'alluma. Au diable les interdictions. Puis elle disparut de leur champ de vision aussi vite qu'elle l'était apparue.

Al attrapa la photo de sa main libre. Elle représenta un bébé, de trois mois maximum, un peu maigrichon et avec de grands yeux couleur noisette. Or contexte, cette photo ne lui rappelait absolument rien, mais après ce que lui laissait entendre l'inconnue, il pouvait se douter que ce bébé, c'était lui. Pas besoin d'être matheux pour additionner A+B. Al sentit une grosse boule se former au creux de son ventre. C'était la première fois qu'il se voyait à cette âge, et ce n'était pas une situation hyper agréable. Al retourna la photo. RDV au Bar-Café de la Place, 19h.

- Et vient seul. Tu auras tout le plaisir de lui raconter après. Mais pour l'instant, ça concerne que toi.

Al ouvrit la bouche pour lâcher la dizaine de questions qui lui venaient, mais la fille ne s'attarda pas plus longtemps et tourna les talons, cigarette aux lèvres. Qui était-elle ? Comment le connaissait-elle ? D'où tenait-elle cette photo ? Il pourrait sans doute étancher sa soif de connaissance à son fameux rendez-vous... Mais au fond, avait-il vraiment envie de savoir ? Al avait tirer un trait sur son passé. Ses parents l'avaient abandonné à quelques mois à peine, en aucun cas il ne voulait avoir encore affaire avec eux. Jamais. Et cette inconnue sortie de nulle part qui se la jouait Mission Impossible avec son rendez-vous en tête-à-tête n'y changerait rien. Al jura dans sa barbe inexistante.
Tandis que la blonde-à-capuche s'éloignait, il froissa la photo et la fourra dans sa poche.

- Génial. C'est super. Top. Absolument... parfait, lâcha-t-il après quelques secondes.

Al se retourna vers Azalée, qui n'avait pas pipé mot durant le bref échange. Il afficha un sourire de façade, alors que mille pensées contradictoires se bousculaient dans son esprit.

- Bon ! On va la manger cette glace ?

Azalée resta muette durant tout l'échange. Qu'est-ce qu'elle aurait bien pu dire de toute façon ? Et vu le regard qu'elle lui avait jeté, elle avait préféré rester aussi muette qu'une tombe et admirer les pâquerettes qui fleurissaient un peu plus loin. Néanmoins, elle ne l'appréciait pas énormément et elle aurait bien aimé lui dire les cinq vérités en face. Pour qui elle se prenait ? Evidemment, elle n'en ferait rien. Cette inconnue avait l'air d'en savoir un paquet sur Alphonse, son passé et peut-être sur un tas d'autres choses et lui casser la figure n'était sûrement pas une bonne idée.

- Bon ! On va la manger cette glace ?

La jeune fille releva la tête vers lui, incrédule. Elle avait complètement oublié cette histoire de glace. Elle hocha timidement la tête et lui reprit la main afin de se diriger, pour de bon cette fois-ci, vers la sortie de l'orphelinat. Les paroles prononcées par l'inconnue résonnaient encore dans sa tête. Elle devait lui demander.

- Tu vas y aller ? Au rendez-vous ?