« L'amour se mesure à notre capacité de pardonner, la haine à notre incapacité d'aimer. » [Azalée Chêne & Alphonse Feldmann]

Azalée pénétra en silence dans le petit salon en début d'après midi afin de ne pas déranger ceux déjà présent et qui vaquaient à leurs occupations ; regarder un film, lire, faire des jeux de sociétés etc. et s'installa à une table près de la fenêtre. Elle n'avait pas reparler à Alphonse depuis la veille et elle devait bien avouer que leurs conversations lui manquaient un peu...voir beaucoup. Elle soupira et sorti de son sac son petit carnet où elle écrivait son journal intime -Qu'elle souhaitait faire publier- et continua d'écrire ce qu'elle avait commencé le matin. Evidemment, elle en était à sa rencontre avec le jeune homme et un léger sentiment de culpabilité l'envahit. N'avait-elle pas été trop sévère avec lui en le laissant planté là-bas comme un idiot ? Peut-être. Seulement, la vraie question n'était pas celle-ci. Qui avait eu le comportement le plus débile des deux ? Celle-là, c'était la vraie. Et la réponse était aussi claire que l'eau de roche. Il n'avait pas à réagir comme il l'avait fait. Elle ne lui appartenait pas et si un autre garçon, qu'il soit son meilleur ami ou non, décide de venir la draguer, puisqu'elle avait bien vite comprit son petit jeu, c'était son choix. Et pourquoi se battre ? Elle n'était pas un objet ou un trophée dont on devait être fière ! Et là, était le nœud du problème. Alphonse l'aimait, elle en était maintenant convaincue et tout ça lui faisait peur. Elle le connaissait depuis quelques jours et même si la jeune fille l'aimait déjà beaucoup, elle ne se sentait pas prête pour éprouver un sentiment tel que l'amour. Le vrai, le dur, le puissant. Pas celui qu'on éprouve pour un ami ou même un meilleur ami. Elle avait peur. Une stupide peur qui l'empêchait de s'ouvrir complètement. Son père aussi aimait sa mère, alors pourquoi avait-il réagit comme il l'avait fait ? Pourquoi l'avait-il conduit jusqu'à la mort ? C'est donc ça, l'amour ?

- Seulement des balivernes...

La jeune fille soupira et lâcha son crayon pour prendre sa tête entre ses mains. Non, décidément, elle ne pouvait éprouver ce sentiment, c'était au-dessus de ses forces. Pourtant, elle savait qu'au fond d'elle, elle ne demandait qu'à l'aimer un peu plus et pourquoi pas autant que lui l'aimait ? D'ailleurs, plus elle en parlait, plus elle trouvait ça bizarre. Qu'est-ce qu'elle avait donc de si spécial pour faire craquer le jeune homme ? Elle était plutôt banale et se fondait parfaitement bien parmi les autres filles. Elle fit alors la chose la plus stupide du monde, elle sortit son miroir de poche et se contempla sous tous les angles. Elle se trouvait quelconque. Elle le posa, face retournée, et leva les yeux au ciel. Elle allait devoir avoir une conversation avec lui à ce sujet... Mais pas tout de suite, elle voulait d'abord le laisser se languir un peu. Elle secoua la tête pour faire le vide dans son esprit et reprit son écriture. Sur Alphonse.

Al se sentait fier. Très fier même. Il avait réussi à ne pas essayer de joindre Azalée depuis la veille, en s'accordant en plus une marge d'erreur d'une matinée entière. Ni appel, ni texto, rien. Il n'avait même pas eu à lui décocher son fameux moyen sourire puisqu'il n'avait pas croisé la jeune fille de la journée. Pas mal, non ? Maddie serait fière de lui.
Bon, inutile de préciser qu'il n'était pas hyper serein non plus. Maintenant que l'échéance approchait, Al ne cessait de cogiter sur la meilleure façon d'aborder Azalée pour se faire pardonner. Il redoutait qu'elle le repousse sans rien vouloir entendre ou pire, qu'elle ne veuille plus jamais lui parler. Dur. Non, restons optimiste, tout allait bien se passer. Il avait répété et répété son discours dans sa tête durant une bonne partie de la nuit, les légers ronflements de Keyvan en bruit de fond. Il le connaissait par cœur, aucune raison de paniquer.

Al secoua la tête pour remettre ses idées en place et poussa la porte de la salle commune. Il remarqua presque immédiatement la jeune fille, attablée seule à côté de la fenêtre. Parfait. Al inspira profondément pour se donner du courage et se dirigea vers elle.

- Azalée ? Rhm, bon écoute. Je n'y connais pas grand chose en relationnel, et encore moins en amour.  Tout ce que je veux, genre... le plus au monde, c'est de continuer à te parler. Je veux savoir comment s'est passé ta journée, ce que tu as mangé et même me disputer avec toi. Je sais, ça fait très psychopathe, mais c'est la vérité. Et je veux continuer à jouer de la musique avec toi, jouer aux jeux vidéos avec toi et me promener dans le parc avec toi. Mais je sais que c'est pas si facile parce que je suis bourré de défauts, et j'ai eu tort de réagir comme je l'ai fait hier. C'était ma faute. Mais je pense juste que... Non en fait, je crois vraiment que si tu arrives à pardonner au misérable être humain que je suis, on pourrait continuer... enfin, si tu veux... continuer cette Conversation ensemble, et je te promets, parole de scout-que-je-n'ai-jamais-été, que je... euh... serait moins stupide.

Après ce long discours, Al reprit son souffle et attendit la réponse d'Azalée, plus inquiet que jamais.

Plongée dans son écriture et plus concentrée que jamais, la jeune fille n'avait même pas prêté attention à l'ombre qui était venue se poster devant la table. C'est lorsqu'elle entendit la voix d'Alphonse s'élever -et qu'elle sursauta- qu'elle se rendit compte qu'elle n'était plus seule. Elle avait d'abord cru que son imagination lui jouait des tours, que la voix du jeune homme était uniquement dans sa tête, mais en relevant la tête, la réalité lui fit face. Il était là, aussi gêné que la première fois qu'il était venu l'aborder, à déballer un discours d'excuses des plus maladroits, mais aussi des plus mignons. Elle porta son crayon à la bouche pour le mordiller à cause du stress qui montait doucement en elle, ne perdant pas une seule miette de ce qu'il disait. Elle ne pouvait pas lui en vouloir plus longtemps, ce n'était pas possible et elle tentait tant bien que mal de cacher sa joie. Elle était heureuse de le voir et de l'entendre parler. Peut-être même un peu trop.
Une fois qu'il eut finit, elle resta un long moment dans le plus profond des silences qui devait être insoutenable pour lui. Elle se doutait qu'il attendait qu'elle accepte ses excuses, mais elle n'était pas de cet avis.

- C'est bon, demanda-t-elle, tu as fini de déballer tout ce que tu as sur le cœur ou non ?

Elle avait essayé de paraître sèche, mais elle savait que son sourire en coin allait la trahir un jour ou l'autre. Elle posa son crayon qui possédait maintenant l'emprunte de ses dents et plongea ses yeux dans les siens. Une sensation de chaleur parcourut son corps et elle fut bien obligée d'admettre que continuer de l'ignorer même une seconde de plus n'allait pas être envisageable. Elle haïssait l'amour, si c'était de ça qu'il s'agissait.

- Ecoute, je ne t'en veux pas. Enfin, si je t'en veux, mais j'ai du mal à t'en vouloir quand tu es devant moi à t'excuser avec ta petite tête de chien battu... Tu me prends par les sentiments et je n'aime pas ça. Je t'aime énormément Alphonse et sans doute plus que ce que tu crois ou que ce que je peux imaginer, ce n'est même pas descriptible comme ressenti. J'ai envie de t'en vouloir et même de te haïr s'il le fallait pour que je puisse continuer de t'ignorer pendant quelques jours comme je comptais le faire afin que tu comprennes que tu m'as blessé, mais je ne peux pas. Alors au lieu de me dire des excuses complètement stupides, viens t'asseoir à côté et demande moi comment s'est passé ma journée, ce que j'ai mangé au petit-déjeuner et à midi et dispute-toi avec moi au sujet de ton chapeau que tu n'as pas enlevé de ta tête...

- C'est bon, demanda-t-elle, tu as fini de déballer tout ce que tu as sur le cœur ou non ?

Al ouvrit la bouche mais aucun son n'en sorti. Il leva la main pour se frotter la nuque, extrêmement embarrassé. Que pouvait-il répondre à cette voix si sèche ? Non ! Bien sûr que non il n'avait pas fini ! Mais Azalée venait de lui couper l'herbe sous le pied avec une telle réponse. De toute évidence, elle n'était pas prête à lui pardonner et son petit discours avait empiré les choses. Maudit soit-il !
Azalée reprit cependant la parole -ouf !
Mais ce qu'elle lui dit le laissa légèrement perplexe.

- Ecoute, je ne t'en veux pas. Enfin, si je t'en veux, mais j'ai du mal à t'en vouloir quand tu es devant moi à t'excuser avec ta petite tête de chien battu... Tu me prends par les sentiments et je n'aime pas ça.

Mauvais ça, très très mauvais. Et dire qu'il avait été plutôt fier de son discours... Slurk ! Mais qu'est-ce qu'il aurait pu dire d'autre ? Tout ce qu'il avait dit était ce qu'il ressentait, il n'allait pas inventer autre chose ou prendre l'air du mec qui s'en fout ! Car non, il ne s'en foutait pas !

- (...) Je t'aime énormément Alphonse et sans doute plus que ce que tu crois ou que ce que je peux imaginer, ce n'est même pas descriptible comme ressenti. J'ai envie de t'en vouloir et même de te haïr s'il le fallait pour que je puisse continuer de t'ignorer pendant quelques jours comme je comptais le faire afin que tu comprennes que tu m'as blessé, mais je ne peux pas.

Euh... Qu'est-ce qu'il était censé comprendre ? Il était pardonné ou pas ? Il avait besoin d'explications un peu plus claires sur le sujet, là il pataugeait dans la semoule des sentiments féminins. Elle avait dit qu'elle l'aimait (*danse de la joie*), mais ensuite, elle voulait le haïr (*gloups*). Même si cette haine lui paraissait un peu extrême pour la situation... Al déglutit en se dandinant sur ses pieds tandis qu'Azalée continuait.

- (...) Alors au lieu de me dire des excuses complètement stupides, viens t'asseoir à côté et demande moi comment s'est passé ma journée, ce que j'ai mangé au petit-déjeuner et à midi et dispute-toi avec moi au sujet de ton chapeau que tu n'as pas enlevé de ta tête...

Al resta planté là, complètement perdu. Alors c'était oui ? Il était pardonné ? Hmm. Non, pas si sûr. Disons qu'il était en sursis. Au prochain faux pas... Couic ! À la trappe ! Son cerveau reprit enfin ses fonctions premières et Al s'ébranla pour s'asseoir sur la chaise à côté d'Azalée.

- Alors comme ça, t'aimes pas mon bonnet ?

Azalée ferma son carnet dans lequel elle écrivait et le poussa doucement sur le côté de la table. Inutile qu'il se rende compte qu'il était son sujet principal d'écriture du moment et encore moins qu'il lui pose dix mille questions à propos de ce journal. Keyvan avait déjà vendu la mèche la veille et ce n'était pas ce qui lui plaisait le plus. Elle leva les yeux vers lui et ne put s'empêcher de lâcher un sourire. Elle était fan de son bonnet autant qu'elle était fan de la comédie de Roméo et Juliette. Seulement, elle respectait à la règle le règlement intérieur et inutile de vous rappeler que porter casquette ou bonnet à l'intérieur faisaient partie des choses interdites.

- Si. Je l'aime beaucoup. D'ailleurs, tu en as combien dans ton armoire ? Mais si une surveillante ou un surveillant passe par là, tu es bon pour une réflexion et je ne serais même pas étonnée si tu venais à te prendre une heure de colle puisque ça ne doit pas être la première fois qu'ils te remarqueront avec ça sur la tête.

Elle croisa les bras sur sa poitrine, se retenant de ne pas lui enlever. Elle l'avait déjà fait une fois, autant éviter le plus possible de refaire les mêmes gestes à chaque fois. Encore un peu stressée, elle se remit à mordiller son crayon. Elle devait lui poser cette fichue question...

- Qu'est-ce qui s'est passé hier ? finit-elle par demander à voix basse. C'était quoi cette scène de jalousie ? T'es amoureux ou tu es juste trop possessif ? Et Keyvan, qu'est-ce qui lui a prit ? Je ne suis pas son type de fille, alors pourquoi ?

Elle retira le crayon de sa bouche et se mit à tapoter nerveusement sa mine sur la table. Elle voulait obtenir ses réponses, mais celle qui l'intéressait le plus était si oui ou non Alphonse était vraiment amoureux d'elle. Elle devait absolument le savoir.

- Et répond sérieusement...

- Si. Je l'aime beaucoup. D'ailleurs, tu en as combien dans ton armoire ? Mais si une surveillante ou un surveillant passe par là, tu es bon pour une réflexion et je ne serais même pas étonnée si tu venais à te prendre une heure de colle puisque ça ne doit pas être la première fois qu'ils te remarqueront avec ça sur la tête.

- Et ça ne serait pas la première fois que je me prendrait une heure de colle, rétorqua-t-il en retrouvant son petit sourire en coin.

Ni la dernière... songea Al. Son bagout et son hyperactivité lui avaient souvent joué des tours de ce côté-là, et ce n'était pas prêt de s'arrêter. Rebelle un jour, rebelle toujours, pour reprendre ce proverbe vieux comme le monde.

- Qu'est-ce qui s'est passé hier ? finit-elle par demander à voix basse. C'était quoi cette scène de jalousie ? T'es amoureux ou tu es juste trop possessif ? Et Keyvan, qu'est-ce qui lui a prit ? Je ne suis pas son type de fille, alors pourquoi ?

- Peut-être un peu des deux ? hasarda-t-il après un instant de réflexion. J'veux dire, je n'ai jamais rencontré de fille comme toi. Même si je t'avais remarqué, ce n'était pas... Je sais pas comment dire ça mais... Ya pas que ça. J'ai passé la plus belle journée de ma vie hier. J'ai adoré te parler, rire et partager ces moments avec toi. Je crois que... En fait j'en suis sûr, je sais que je suis amoureux de toi. Et j'ai découvert presque en même temps que j'étais hyper jaloux, ce qui me désespère au plus haut point, crois-moi, grimaça Al.

Voilà, il l'avait dit. Il se sentait plus léger d'un coup, comme si on venait de retirer un poids de ses épaules. En même temps, il sentait qu'il venait de faire une bêtise. Azalée venait de le lui dire : elle ne partageait pas ses sentiments. Ou du moins, elle n'en avait pas envie. C'était donc un coup de poker qu'il venait de jouer : la jeune fille pouvait très bien prendre peur et lui échapper. Il priait tous les dieux-auxquels-il-ne-croyait-pas pour que ce ne soit pas le cas.
En voyant Azalée ouvrir la bouche pour répondre, Al leva un doigt pour l'en empêcher.

- Pas la peine de répondre à ça. Je sais ce que tu vas dire et je n'ai pas envie de l'entendre.

Al sourit et reprit la parole. Et tant pis pour Maddie et ses conseils.

- Pour répondre à ton autre question, Keyvan obéissait au plan de Nawel consistant à m'éloigner de toi. Et il a bien joué finalement... Bref, je ne vais pas essayer de me disculper, je prends totalement la faute sur moi. Je me suis expliqué avec lui et Nawel -plus ou moins-, tout est réglé.

Au moins elle était fixée. Alphonse l'aimait et l'amour entraîne la jalousie. Keyvan était juste un ami un peu débile sur les bords. Nawel la détestait et ferait tout pour semer la zizanie dans son couple....euh amitié ! Dans son couple d'amitié. Bref. Ce qui retenait le plus son attention, c'était les aveux de son ami. Elle connaissait déjà la réponse, mais de l'entendre dire de lui-même avait provoqué comme une explosion dans sa poitrine. Son cœur s'emballait dès qu'elle se répétait mentalement sa phrase -ou sa déclaration d'amour- et c'était bizarre... Elle voulait se faufiler dans ses bras, sentir la chaleur de son corps contre le sien, goûter au délice de ses douces lèvres et rester près de lui pour l'éternité. C'est ce qu'elle voulait plus que tout au monde, mais pourquoi n'arrivait-elle pas à lui dire ? Pourquoi avait-elle peur ? Ils n'allaient pas se marier, juste sortir ensemble ! En rien il s'agissait de quelques choses d'effrayant. Sauf pour Azalée. Elle avait peur qu'une fois ensemble, il montre qui il était vraiment, son mauvais côté. Elle devait tout lui dire avant qu'il ne perde complètement espoir, et elle aussi.

- Al, je crois que je dois vraiment te dire pourquoi je suis ici... Sinon, tu ne pourras jamais comprendre mes réactions, ni pourquoi c'est si compliqué entre nous, ni pourquoi je suis confuses et incapable de te fournir clairement une réponse à propos de mes sentiments.

Elle allait effectuer un grand pas en avant. Raconter son histoire n'était pas facile et faisait remonter en elle d'horribles souffrances. Il serait le premier à être au courant si on ne prenait pas en compte la directrice et son journal intime.

- Ne dis pas un mot avant la fin, d'accord ?

Elle se tourna sur sa chaise afin d'être face à lui et commença son récit dès qu'elle eut la certification qu'il ne poserait aucune question et ne ferait aucun commentaire avant la fin.

- Je t'aime. Je le sais, maintenant, c'est une évidence. Mais j'ai besoin de temps pour réfléchir et pour m'habituer à cette idée... Et tout ça parce que j'ai peur. J'ai peur de perdre le Alphonse que je connais, de me retrouver face à...à un gros salopard qui me voudrait du mal. Je ne doute pas de toi, je sais qu'au fond tu resteras comme tu es et que tu es un gars bien, mais je n'arrive pas à m'en persuader complètement. (Elle soupire) De mes neufs ans, jusqu'à ce que j'arrive ici, il y a deux ans, je vivais avec un père qui nous battait, ma sœur, ma mère et moi... Je dois encore avoir des hématomes qui ne partiront jamais, ce n'est pas beau à voir, d'ailleurs. dit-elle en souriant un peu. On a vécu six ans comme ça et un jour, en rentrant des cours, mon père avait disparu avec ma petite sœur, laissant ma mère morte à cause des coups qu'elle avait reçus... Je ne lui pardonnerais jamais ses actes, même si c'est à cause de l'alcool ou d'autres choses, jamais. Explique-moi comment on peut aimer quelqu'un, lui faire quatre enfants et ensuite la tuer ? Je déteste ce sentiment... Je ne veux pas aimer une personne et revivre le même cauchemar toute ma vie... J'ai besoin de temps, pour me convaincre que vous n'êtes pas tous comme ça, même toi... Et j'en suis désolé...

Une larme tomba sur sa main droite qui était posée sur sa cuisse. Elle se rendit compte qu'elle pleurait et elle se demandait depuis combien de temps ? Depuis le début ? Ou seulement depuis quelques secondes ? Elle l'ignorait et elle s'en fichait. Elle avait dit ce qu'elle avait à dire et c'est tout ce qui comptait à présent.

Après avoir acquiescé au fait qu'il n’interromprait pas Azalée dans son récit, Al appuya ses coudes sur ses cuisses et se pencha légèrement vers elle. Il savait que ce que comptait faire la jeune fille demandait beaucoup d'efforts et de courage. On ne se dévoilait pas si facilement à Evergreen, Al en avait fait lui-même l'expérience. Pas pour sa propre histoire non, il n'en avait aucun souvenir, et qui dit aucun souvenir, dit aussi aucun mauvais souvenir. En revanche, il avait déjà dû écouter celle de certains orphelins, et ce n'était jamais joyeux. Alors si Azalée était prête à s'ouvrir à lui en si peu de temps, c'est qu'elle devait avoir confiance. Et cela le touchait énormément.
Al se montra donc plus qu'attentif lorsqu'Azalée commença son récit.
Et plus elle avançait, plus il serrait les poings.
Son histoire était l'une des pires qu'il ait jamais eu à entendre. Imaginer un type comme le père d'Azalée, alcoolique et lunatique au point de frapper les personnes qu'il était censé aimer et chérir comme la prunelle de ses yeux... Ça le rendait malade. Comment de tels monstres pouvaient exister ? Le simple faire de lever la main sur une femme le révulsait, alors quand il s'agissait de la fille qu'il aimait, c'était tout bonnement insupportable.

Étonnamment, l'idée d'être vexé pour être comparé à ce genre de type ne l'effleura pas un instant. Il comprenait Azalée, même si ça le frustrait un peu. D'ailleurs, il était bien décidé à lui montrer qu'il n'avait rien à voir avec son père, comme la majorité des hommes par la même occasion.
Azalée termina son récit et une larme perla sur sa joue pour venir s'écraser sur le dos de sa main. Sans quitter son visage des yeux, Al avança la sienne et essuya la larme de son pouce. Il ne retira pas sa main lorsqu'il prit la parole, et planta ses yeux dans ceux, si bleus et mouillés, d'Azalée. Dieu qu'il détestait la voir pleurer.

- Azalée. Je peux te jurer que jamais, tu m'entends, jamais je ne lèverai la main sur toi. C'est un acte impardonnable et strictement hors de mes principes. Ça ne me traverserait même pas l'esprit, je... Aussi longtemps que tu me permettras d'être près de toi, en tant qu'ami ou autre, je me porte garant de ton bonheur. C'est tout ce qui compte pour moi. Et je t'autorise même à me frapper si je faillis à cette promesse, ajouta-t-il avec un petit sourire.

Et sans attendre de réponse -ou de baffe-, Al se pencha davantage et passa ses bras autour des épaules d'Azalée. Oui, il était suicidaire. Ou complètement fou. Mais Al faisait ce qu'il avait envie de faire, et ce depuis toujours, et ce dont il avait envie en ce moment, c'était de consoler Azalée et de la faire sourire.

La jeune fille resta muette lorsqu'il essuya ses larmes, lorsqu'il lui expliqua que jamais, il ne serait comme son père -ce qui la rassura légèrement- et même lorsqu'il la prit dans ses bras, elle ne pipa pas un mot. Elle n'avait pas envie de parler ni même d'essayer. Elle voulait arrêter le temps, rester des heures dans ses bras et continuer de se sentir en sécurité. Elle glissa lentement ses mains tremblantes dans son dos et serra doucement son tee-shirt avant d'enfuir sa tête dans le torse -Il faisait facilement une tête de plus qu'elle.- du jeune homme, l'utilisant un peu comme un mouchoir géant, mais tant pis, elle savait qu'il lui pardonnerait. Ou pas. Elle allait quand même éviter de se moucher sur ses vêtements...

- Je...

Incapable de trouver quoi dire, elle ne termina pas sa phrase. Elle le croyait, elle l'aimait, mais elle flippait toujours autant qu'avant. Et il était sûrement inutile de lui répéter qu'elle avait besoin de temps, il le savait déjà. Autant ne rien dire et profiter de ce doux moment. Oui. Elle allait profiter et prier pour que personne ne vienne les déranger et surtout pour qu'aucune furie arrive et brise cet instant de bonheur. Elle resta silencieuse à écouter les battements de son cœur pendant plusieurs minutes. Entendre ce tam tam dans sa poitrine l'avait apaisé et elle ne pleurait plus. Ce n'est seulement quelques minutes plus tard qu'elle se décida de relever son visage en tentant tant bien que mal de lui offrir un sourire.

- Tu sais vraiment parler aux filles, toi...

Et comme pour souligner sa réponse, elle déposa un bisou timide sur sa joue. C'est tout ce dont elle était capable pour l'instant, mais elle espérait bien pouvoir aller plus loin un jour. Peut-être que d'ici une à deux semaines, ils se baladeraient main dans la main dans les couloirs d'Evergreen.

Al enserra un peu plus Azalée dans ses bras lorsqu'il sentit celle-ci se détendre légèrement. Toute la frustration qu'il avait accumulée depuis la veille au soir s'évapora d'un coup, laissant place à un incroyable bien être. À ce moment, il se sentait tellement léger, qu'il sentait pouvoir voler si Azalée le lâchait. À la différence près qu'il aurait préféré mourir trois fois dans d'atroces souffrances plutôt que de rompre ce moment.
Al inspira doucement. Les cheveux soyeux d'Azalée sentait bon la ... et la ... . Un parfum léger et ... qui lui correspondait parfaitement.
Après ce qui lui sembla un instant (bien trop court à son goût), la jeune fille s'écarta légèrement pour relever la tête et lui sourire. Un vrai sourire.

- Tu sais vraiment parler aux filles, toi...

- Ce doit être un don naturel chez moi, répondit Al avec un énorme sourire. Don qui m'a admirablement servi tout au long de ces dix-sept longues années de célibat...

Il laissa échapper un petit soupir symbolique. Les filles en tant que telles ne l'avaient jamais vraiment intéressées avant... Beh avant Azalée en fait, vu qu'elle avait fait irruption dans sa vie à peu près au moment où tous les garçons commençaient à considérer les filles autrement.
Al baissa les yeux vers Azalée et reprit un visage aussi sérieux que possible.

- Non sérieusement. Je pensais tout ce que je t'ai dit, rien de plus.

- Je sais, répondit la jeune fille d'un ton calme, je sais que tu es sincère. Ne t'inquiète pas pour ça.

Elle se retira à contrecœur de son étreinte et glissa une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle se sentait un peu gênée par tout ce qui venait de se passer et elle savait que d'ici quelques minutes, elle serait aussi rouge que le manteau du capitaine Crochet dans Peter Pan. (Ou que les cheveux d'Adeline.) Toutefois, elle n'avait pas oublié son envie de savoir pourquoi elle et pas une autre. Il y avait plus d'une vingtaine de jolies filles à l'orphelinat, si on ne comptait pas celle entre cinq et seize ans, alors que ça tombe sur elle, la seule nana qui refusait d'avoir un petit copain, il fallait faire fort !

- Alphonse ?

Elle ne savait pas comment lui poser la question sans l'affoler. Elle se doutait que ce n'était pas la première question qu'une potentielle petite amie devait avoir sur le bout des lèvres. D'après elle, si une des autres filles avaient eu la chance de l'intéresser, elle aurait dit oui sans se poser des questions inutiles. Mais ce n'était pas son cas.

- Tu vas trouver ça stupide, mais pourquoi moi ? Quand tu ne me connaissais pas, qu'est-ce qui t'as plu chez moi ?

- Alphonse ? Tu vas trouver ça stupide, mais pourquoi moi ? Quand tu ne me connaissais pas, qu'est-ce qui t'as plu chez moi ?

- Oh, je vois ! Madame est en quête de compliments sur sa personne ! railla Al avec son célèbre sourire en coin.

Bon, il faisait le malin, mais au fond, il n'en menait pas large. Pourquoi les filles avaient toujours si peu confiance en elles, c'était incroyable ça ! Les mecs n'étaient pas si compliqués eux : s'ils avaient la chance d'intéresser une fille, ils ne se posaient pas la question du pourquoi du comment ! Ils s’estimaient heureux et carpe diem, pas de chichis.
Bref. Al était donc bien embêté par rapport à cette question pour le moins étrange d'Azalée. Comment voulez-vous répondre à ça ? On ne peut pas ! Voilà la réponse ! Même les plus grands mathématiciens n'avaient pas trouvé. Aaah, l'amour. Sentiment si mystérieux et inexplicable.
En même temps, s'il y réfléchissait bien, Al pouvait peut-être ébaucher un semblant de réponse. Il préférerait se jeter sous un train plutôt que de l'avouer à Azalée, mais il avait d'abord été attiré par son physique. Normal finalement, comme tout le monde. Et puis, qui pourrait rester indifférent à ces yeux si bleus, ces cheveux si blonds et ondulés, tombant en vagues sur ses épaules, ce petit sourire... Ensuite il avait commencé à la connaitre un peu (relation à sens unique, vous voyez l'genre), et tout dans son caractère lui avait parut adorable. Et enfin, maintenant qu'il la connaissait vraiment, c'était encore mieux. Al avait trouvé la perle rare en la personne d'Azalée.

- Hmm. J'en sais rien. Peut-être que ta haute estime de toi rayonnait à travers l'orphelinat et m'a attirée tel un papillon de nuit face à une lanterne allumée.

Al lui décocha un sourire malicieux puis reprit la parole, se doutant qu'Azalée ne se contenterait pas de si peu :

- Sérieusement Azalée, je peux pas répondre à cette question. Je suis pas assez "poète torturé" ni "philosophe sous extasy" pour formuler ma pensée de façon... romantique. Mais ce que je peux te dire, c'est qu'aucune autre fille de cet orphelinat ne t'arrive à la cheville. Jamais.

La blondinette s'était tût pendant toute la durée de ses explications pour le moins...étrange. Elle ignorait qu'elle avait une haute estime de soi ou qu'elle cherchait à avoir des compliments de la part de quiconque. Elle se redécouvrait sous un nouvel angle. Oui, comme toutes les filles, elle aimait bien entendre qu'elle avait de jolis cheveux ou un beau teint, mais elle se donnait du mal pour ça, alors elle n'avait aucun mérite. Toutefois, loin d'être la première des débiles, elle avait senti l'ironie dans la voix du jeune homme, mais elle n'allait pas le laisser s'en tirer comme ça.

- J'ignorais que j'étais quelqu'un qui m'adorait au point de me lancer des fleurs. Tu as une drôle façon de me voir. dit-elle en prenant une mine mi-choquée, mi-énervée. Je suis profondément déçu, Alphonse....

Elle croisa les bras sur sa poitrine et leva les yeux au plafond. Alors, comme ça, aucune fille de l'orphelinat lui arrivait à la cheville ? Vraiment ? Impossible ! Il y avait une bonne dizaine d'adolescentes qu'Azalée enviait pour leur beauté surnaturel. En commençant par Nawel. Ce n'était pas le bon exemple à lui fournir puisque c'était sa meilleure amie, mais quant bien même, elle était vachement jolie...
Elle balaya la salle du regard et se penchant vers son ami.

- Tu vas me dire, qu'elle, elle ne m'arrive pas à la cheville ?

Elle pointait discrètement du doigt et de la tête, une pensionnaire du même âge qu'eux avec une magnifique et flamboyante crinière rousse. Elle aussi, elle faisait partie des filles qu'elle enviait... Et pas qu'un tout petit peu.

- Tu vas me dire, qu'elle, elle ne m'arrive pas à la cheville ?

Al ne prit même pas la peine de tourner la tête vers la personne que lui indiquait Azalée. Pas besoin d'être un génie pour savoir que la fille en question devait être à tomber par terre. Rhalala, les filles... Pourquoi si peu de confiance en soi et pourtant tant de charme ? C'était à en devenir fou ! Al secoua la tête sans lâcher Azalée des yeux.

- Absolument pas. Elle est loooooin sous terre, parmi les nombreux lombrics qui y vivent. J'exagère un poil, mais t'as compris l'idée. Et je ne vais pas te démontrer par A+B, que oui Azalée Chêne, tu es la fille la plus canon que j'ai jamais eu la chance de connaître, tout simplement parce que je suis une quiche en explications, et aussi parce que c'est comme ça, va falloir t'y faire ma cocotte.

Bon ok, c'était pas hyper romantique comme surnom. Il allait falloir qu'il trouve mieux. Beaucoup mieux.

- T'es rassurée ? Et de toute manière, si je voulais sortir avec une fille uniquement pour son physique, ça ferait longtemps que je serais casé. Ou pas en fait...